En règle générale quand on me demande de créer un site Internet soit le client a déjà au moins un logo, parfois une charte graphique détaillée faite par un professionnel que je vais pouvoir utiliser et décliner pour le web. Parfois le client n’a rien et je suis en mesure de créer un logo et une charte. Mais il peut arriver que l’on m’impose un graphiste certes talentueux dans le domaine de la création graphique et connaissant très bien l’univers de l’impression mais, ne connaissant pas grand chose aux contraintes et possibilité du web et là ça peut être facilement la catastrophe.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’un site web n’a pas du tout les mêmes contraintes et les mêmes libertés que l’impression. La suite est certes un peu caricaturale et ne parle que des excès avec une pointe d’ironie, j’espère que mes amis graphistes ne le prendront pas trop mal.
L’ergonomie web
Une brochure, une plaquette, un catalogue on sait comment ça marche, il faut tourner les pages et éventuellement lire le sommaire pour savoir sur quelle page se trouve l’information que l’ont recherche. Mais sur le web le visiteur doit comprendre immédiatement comment accéder aux contenus, comprendre où cliquer, comprendre ce qui est cliquable, où se trouve l’information qu’il recherche. Une couleur, un effet graphique pourra aussi avoir la fonction d’indiquer au visiteur où sont les éléments lui permettant de naviguer entre les pages. Et le visiteur en règle générale ne va pas perdre son temps à essayer de comprendre le fonctionnement du site. Vu que ça n’existe pas sur le papier, un graphiste print n’en a aucune conscience. J’en ai eu plusieurs qui voulaient de l’originalité, réinventer Internet, casser les codes, sans contraintes, etc… Avec par exemple une navigation seulement sur la page d’accueil, sur une fleur cliquable dont les pétales s’ouvrent en animation et chaque pétale pointe sur une page différente.
L’accessibilité
Un document imprimé, tout le monde a le même. Un site Internet sera vu sur des écrans avec des réglages de luminosité, des résolutions d’écran, une exposition lumineuse, des tailles d’écran très différentes. Les navigateurs interprètent aussi les pages de façons différentes, les couleurs, les tailles des polices vont varier légèrement de l’un à l’autre. Et surtout nous ne voyons pas tous exactement les mêmes couleurs, et nous sommes plus ou moins sensibles aux contrastes. Et bien sûr, il y a aussi des daltoniens, des gens plus sensibles que d’autres à l’attractivité d’une image en mouvement, et nous n’apprécions pas tous les contrastes de la même façon. Depuis longtemps il y a des organismes qui essayent de mettre en place des normes pour faciliter l’accès à l’information présente sur le web pour tous (qui devraient aussi à mon sens s’appliquer au print). Elle concerne en premier lieu les contrastes, et il existe des outils d’analyse de contraste pour savoir si un site est accessible au même titre qu’un bâtiment est accessible à une personne en fauteuil roulant. J’ai vu souvent des maquettes avec un texte jaune sur un fond blanc, ou un texte blanc sur un fond gris clair. Les maquettes web réalisées par un graphiste print passeront rarement les tests d’accessibilité et je trouve ça absolument dramatique. Il faut savoir aussi que Google en tient compte pour le référencement. Le référencement, parlons-en !
Le référencement
La composition d’un document papier pourra peut-être avoir une incidence sur le nombre de lecteurs par sa qualité de mise en page. Mais ce sera surtout son tirage et les moyens de distributions qui feront qu’elle se retrouvera dans les mains d’un plus ou moins grand nombre de personnes. Alors qu’un site web sera essentiellement vu grâce à son référencement (sauf budget pub que je vois peu chez mes clients). Et optimiser son référencement va avoir une grosse incidence sur le contenu des pages, sur le volume de texte, le choix des mots, l’optimisation des médias, du code, etc… Je pars du principe que si l’on fait un site c’est pour qu’il soit vu, on doit donc s’attacher à quelques règles qui devront être prises en compte par le graphiste. Mais vu que pour le print, il n’y a pas de notion de référencement, le graphiste print pourra facilement avoir des idées contre-productives. Comme une page d’accueil avec juste une photo et pas de navigation, des pages sans texte, des montages typographiques impossibles à gérer en texte qui finissent en une image, des textes allégoriques sans notions de mots clés…
Le responsive
Tout le monde est au courant aujourd’hui qu’on peut aller voir des sites Internet sur un téléphone et c’est là qu’ils sont le plus vus d’ailleurs. Les graphistes print intègrent que très rarement dans leur réalisation, l’élasticité que doit avoir un contenu, l’adaptation qu’il doit être en mesure de faire. Et dans ce domaine les contraintes sont fortes et l’on ne peut par forcément adapter n’importe qu’elle mise en page sur mobile. La version desktop doit forcément être composée en intégrant son adaptabilité à une version mobile. Les mécanismes de travail pour le print inamovible n’intègrent pas cette notion d’adaptabilité pendant la phase de composition.
La connaissance des outils
Il y a mille et une façons de faire un site web, on peut tout coder de A à Z, mais en général on utilise des CMS très différents ou pour WordPress on peut utiliser l’éditeur par défaut Gutenberg ou divers constructeurs de pages comme DIVI ou Elementor. Et chacun permettra de mettre en place des effets graphiques, des animations, des modules tout fait, mais tous ne proposent pas la même chose. Et savoir quels outils on utilise pour faire un site et savoir ce qui est facile ou pas à faire, ce qui prend 2 minutes ou 5 jours à composer. Il faut avoir un minimum de connaissance en html css php javascript pour envisager concevoir un design web, pour moi c’est un peu comme si un graphiste print ne savait ce que c’est que de l’encre et du papier et n’avait jamais vu une imprimante de sa vie. Le graphiste print ne connait pas ces langages et va proposer un panel d’effets glanés sur des sites faits avec des outils très différents pour souvent de très grosses structures qui ont mis de gros moyens en place. Un peu comme la réalisation d’un petit film d’entreprise avec des effets spéciaux à la Spielberg.
Les conséquences désastreuses
Le graphiste va généralement faire des maquettes plutôt attrayantes et sympathiques en PDF qui plairont au client, car bien sûr il ne consultera pas celui qu’il préfère appeler « le développeur ». Le client s’attendra alors à avoir quelque chose de proche de la proposition impossible du graphiste print et sera forcément déçu et mécontent du résultat. Le graphiste print ne va avoir de cesse de demander des explications sur chaque détail. Pourquoi on ne peut pas aligner ces 2 colonnes par le bas ? Pourquoi on ne peut pas mettre un menu ici ? Pourquoi cette fonction que j’ai vue sur le site d’Apple est impossible sur ce site à 2000€ ? Et il se sentira contraint dans sa liberté créative. Et celui qui se retrouve en fin de chaine n’aura déjà pas le plaisir de participer à la création graphique, il se verra réduit à un simple travail d’exécutant aux ordres d’un graphiste print parfois tyrannique et incompétent. Et au final il passera 10 fois plus de temps que prévu en se demandant toujours, s’il doit imposer ses contraintes ou lâcher pour un site de mauvaise qualité. Pour moi, c’est souvent une très grosse perte de temps, beaucoup de tension, un client mécontent et encore plus quand il se rendra compte qu’il ne peut rien faire pour l’évolution de son site et qu’il se retrouvera très loin de la première page de Google quand il cherchera son domaine d’activité dans sa ville. Évidemment, ce client ne fera plus jamais appel à moi pour son site. Ce n’est satisfaisant et rentable pour personne.
Les exceptions
J’ai dans mes relations deux graphistes print avec qui je collabore qui ont pris la peine de se remettre en cause et de faire une formation sur les bons usages de la création web, l’utilisation des outils actuels. Et avec qui ça se passe globalement assez bien. J’ai aussi l’exemple d’un graphiste qui suite à des résultats calamiteux à définitivement abandonné l’idée de faire des maquettes web et me fournit un logo, une typo, une charte graphique détaillée avec lequel je compose à ma guise et je n’ai désormais avec lui que des clients satisfaits, qui font vivre facilement leur site, que leurs clients félicitent et se retrouvent trés bien référencés.
Un exemple qui va dans mon sens
Il y a quelques années, j’ai refusé de refaire un site à partir de maquettes qui me donnaient des sueurs froides. Le graphiste print a trouvé un développeur à ses ordres. La cliente revient vers moi 2 ans après n’en pouvant plus d’avoir un site impossible à modifier, affreusement mal référencé sans aucun suivi alors qu’il lui a couté 4 fois mon tarif habituel.
Conclusion
La réponse à la question du titre de cet article est clairement un très gros NON sauf s’il prend un peu la peine de se remettre en question et de se former à cette matière qui peut finalement être assez loin de ses habitudes ancrées depuis parfois des décennies.
Aujourd’hui je refuse systématiquement de faire un site à partir de maquettes impossibles déjà présentées au client. Même si ça peut créer un peu de mécontentement, c’est toujours moins dramatique que de dire oui.
Donc chers clients, ne faites pas cette erreur d’imposer un graphiste print à votre webdesigner préféré, contentez-vous de lui demander le logo en vectoriel, le nom de la typo, et la charte si elle existe et ça se passera beaucoup mieux pour tout le monde. Et chers ami(e)s graphistes, reconnaissez que vous n’avez pas forcément toutes les compétences nécessaires pour ce genre de travail et faites l’effort de vous former avant d’imposer n’importe quoi.